Née sur TikTok et popularisée par des formats courts, la tendance dite shrekking décrit une stratégie amoureuse consistant à s’engager avec une personne jugée « inférieure » — souvent sur des critères physiques ou statutaires — afin de garder l’ascendant et réduire le risque d’être quitté. Inspiré par l’ogre de DreamWorks, ce néologisme transforme la rencontre en calcul préventif : préserver son ego, sécuriser l’investissement affectif, limiter l’incertitude. Derrière cette logique se profile une hiérarchie de désirabilité où l’apparence, l’âge, la position sociale deviennent des unités de mesure. La démarche séduit par son vernis pragmatique, mais elle interroge la qualité du lien et la place laissée à la vulnérabilité, condition pourtant centrale de l’attachement.
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Sommaire
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Le shrekking prospère dans un écosystème de « matching » instantané où les profils sont triés, notés, écartés en quelques gestes. Des plateformes comme Tinder ont familiarisé les usagers avec une grammaire du tri : ce que les sociologues nomment la marchandisation du lien, ou la conversion du capital esthétique et social en valeur d’échange.
Dans cette logique, la relation devient stratégie défensive : on choisit un partenaire perçu comme moins « désirable » pour réduire l’aléa, en supposant qu’il fera davantage d’efforts et restera loyal.
Cette approche installe un gradient implicite entre « haut » et « bas » de l’échelle amoureuse. Elle naturalise des normes esthétiques dominantes, entretient l’hypergamie à sens unique et normalise l’idée qu’aimer serait optimiser un portefeuille d’attributs. Le risque : substituer la curiosité de l’autre par l’optimisation de soi.
Pourquoi le shrekking pose problème
Les professionnel·les de la santé psychique, à l’instar de la psychologue Amélie Boukhobza, pointent une dynamique d’instrumentalisation du partenaire : l’autre est choisi pour sa « fonction » — rassurer, réparer, valider — plutôt que pour sa singularité. La relation s’organise alors autour d’un rapport de force, non d’une co-construction.
- Asymétrie chronique : la personne « au-dessus » maintient l’ascendant, ce qui fragilise la réciprocité et l’ajustement émotionnel au quotidien.
- Biais d’évaluation : réduire l’autre à des marqueurs visibles (physique, âge, statut) occulte la compatibilité profonde (valeurs, attachement, styles de communication).
- Paradoxe de contrôle : vouloir sécuriser l’issue accroît la défiance ; nombre de témoignages relatent des déceptions ou infidélités chez celles et ceux qu’on pensait plus « dépendants ».
Au plan symbolique, le shrekking érige la hiérarchisation de la valeur en principe relationnel : beauté, esprit, sensibilité deviennent classement, au détriment de la dignité relationnelle. Cette perspective nourrit l’auto-sabotage : on évite l’exposition à la perte, mais on renonce aussi à la profondeur du lien.
Enfin, le présupposé qu’un partenaire « en dessous » aimera davantage n’est ni stable ni vérifiable ; il s’agit d’une croyance performative, facilement démentie par l’expérience clinique et les trajectoires biographiques.
Changer de perspective : élargir ses critères sans calculer l’ascendant
Renoncer au shrekking ne signifie pas effacer ses préférences, mais interroger ce qui motive le choix : la peur d’être blessé ou le désir d’explorer une altérité réelle ? Des repères opérationnels peuvent aider à privilégier la compatibilité émotionnelle plutôt que la domination perçue.
- Clarifier ses besoins d’attachement (sécurité, autonomie, proximité) et les mettre en dialogue plutôt que de chercher un avantage structurel.
- Privilégier les indicateurs relationnels (qualité de l’écoute, gestion des conflits, alignement des valeurs) sur les marqueurs de statut.
- Accepter une dose de vulnérabilité : la confiance se construit par des tests réciproques, non par la maîtrise unilatérale.
Dans cette optique, l’« élargissement des critères » retrouve un sens fécond : non pas s’orienter vers « moins bien » pour gagner du contrôle, mais rencontrer hors de sa zone de confort pour découvrir des affinités inattendues. La littérature clinique et l’expérience des praticiens rappellent que l’équilibre relationnel résulte d’ajustements continus : écoute, négociation, respect des limites.
À ce titre, choisir quelqu’un « pour briller à ses dépens » revient à déplacer le problème plutôt qu’à le résoudre.

